Un nationaliste espagnol vu par un nationaliste français d’après l’exposé de Pierre Sidos (Œuvre française) du 21 juin 2003 devant le Cercle franco-hispanique, à Paris
C’est avec un sentiment de fierté, que j’ouvre cette rubrique consacrée au fondateur du fascisme espagnol 1, José Antonio Primo de Rivera.
Pour introduire cette étude, je ne pouvais pas mieux faire que de présenter l’exposé de l’un de ceux qui ont le mieux compris José Antonio, Pierre Sidos le fondateur de « l’Œuvre française » 2 .

Un ami, à qui je montrais fièrement l’insigne phalangiste aux cinq flèches et au joug, me dit un peu brutalement « Nous ne sommes pas espagnols. » Cet ami n’a pas tort sur le fond : le nationalisme des phalangistes est espagnol, comme celui des fascistes est italien, comme le royalisme des carlistes est également espagnol. Mais, sans vouloir aucun syncrétisme, je demande ceci : pourquoi faudrait-il jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Il est évident que le phalangisme espagnol est soluble dans le nationalisme français. C’est un sentiment que partageait Pierre Sidos. En-dehors des noms cités, les propos cités entre guillemets sont ceux de l’auteur.
L’auteur de cette conférence 3 parle de la même foi nationaliste qui brûlait, à la fois chez Marcel Bucard et dans cette âme de fier hidalgo, José-Antonio 4.
Nous sommes en janvier 1936, au siège du parti franciste, rue de Bucarest dans le VIIIème arrondissement de Paris : le chef du Francisme reçoit le chef du Phalangisme. José Antonio tient à remettre à Marcel Bucard « son propre insigne de chef de la Phalange espagnole, les cinq flèches et le joug marqué des initiales JONS. En échange, le fondateur du francisme lui offrira son emblème personnel de boutonnière, à l’image de celui qu’arboraient les militants à chemise bleu ciel, c’est-à-dire la réunion d’un épi de blé, d’une roue dentée, surmontée d’une francisque symbolisant l’union du paysan, de l’ouvrier et du soldat ». La rencontre, écrit Pierre Sidos, sera rapportée, sous le titre « Hommage émouvant » dans l’hebdomadaire « Le Franciste » daté de septembre 1936 avec ceci en commentaire, écrit Pierre Sidos : « Nous sommes, hélas, sans nouvelles sur le sort qui lui est réservé (…). À nouveau, nous lui adressons à lui, à ses compagnons, à ses amis (…) l’hommage ému de notre affection et de notre admiration. Nous saluons leurs grands morts, tombés en martyrs au service de leur foi ».
Hélas les francistes apprendront avec douleur que José Antonio sera arrêté à Madrid par le gouvernement du Front Populaire 5, le 14 mars pour « détention illégale d’armes à feu », quelques semaines seulement après la rencontre à la « Maison bleue ». Le 3 octobre suivant, le voici qui sera accusé de « conspiration contre la République » et d’« insurrection militaire ». Cela va ensuite très vite : il sera reconnu coupable et condamné à mort le 18 novembre. José Antonio Primo de Rivera sera fusillé le 20 novembre 1936.
Ironie de l’histoire, c’est également un 20 novembre (1975) que mourra celui qui lui avait voué une grande admiration, Francisco Franco, le Caudillo de l’Espagne…

Ce n’est pas la seule coïncidence de dates. Pierre Sidos déclare : « Il convient d’indiquer que la création du Francisme est du 29 septembre 1933, que celle de la Phalange est du 29 octobre 1933, soit exactement un mois d’écart, alors que l’année de leur rencontre, en son début, sera suivie de la mise hors la loi de la Phalange en Espagne, au mois de mars, et de celle du parti franciste en France, au mois de juin. »
Oui, la haine antinationale du socialisme marxiste du « Frente Crapular » est vraiment internationale, ne connaît pas de frontières…
Une conception sociale hiérarchisée, fidèlement catholique mais hostile au cléricalisme
Pierre Sidos évoque ensuite l’inspiration fasciste (« incontestable » sic) du Francisme et de la Phalange. La flamme de l’Idéal commun associait « le social et le national, conciliant l’État et la religion, alliant la politique et l’esthétique, rassemblera une jeunesse ardente, d’accord pour répudier la loi du nombre, le règne de l’argent, l’idéologie du progrès. »
La nature n’est pas démocratique.
Cette hiérarchisation des rapports entre les hommes est « favorable à l’enracinement et à l’unanimité, hostile à la subversion et à l’inversion (…) expression renouvelée d’un pouvoir temporel chrétien non clérical. »
Le nationaliste est ami du prêtre, qu’il entend défendre contre les attaques de l’impiété malsaine qui baigne notre triste société. Cependant, en retour, il espère du prêtre que celui-ci aura compris les leçons de la Sainte Église, qui n’est pas une théocratie, mais une société surnaturelle, dominant et élevant la nature sans l’écraser. Le fasciste attend du prêtre qu’il le laisse agir en politique comme bon lui semble 6, s’intéresse à son action et, éventuellement, avec prudence, qu’il recommande publiquement son action 7 sans en être obligé.

Une esthétique politique
Pierre Sidos, sans la commenter, signale l’apostrophe fameuse de Maurice Barrès à Charles Maurras (ci-dessus en habit d’académicien : « Je crains que vous ne formiez de durs petits esprits. » C’est votre serviteur qui va alors se permettre un bref commentaire.
L’accusation, faite à Maurras, de former « de petits esprits » est à la fois fausse et injuste selon moi, parce que le génie humain ne peut pas enfanter de « petits » esprits. Charles Maurras était justement un de ces grands esprits, injustement condamné en 1945 pour « intelligence avec l’ennemi », par un monde gaulliste seulement jaloux de son intelligence politique.
Mais … de « durs » esprits ? S’il est vrai que la prose de Maurras, très académique 8, peut paraître parfois austère à de jeunes cervelles, cela ne vaut pour les écrits politiques de Maurras. Mais le grand homme n’a pas barbouillé que des feuilles politiques et c’est en ce sens, que Maurice Barrès ne connaît pas Maurras.
Pour me reposer l’esprit, après la lecture de quelques chapitres de « Mes Idées politiques » par exemple, ou de « L’Avenir de l’Intelligence » j’empoigne quelques pages de sa prose poétique et le chant de ses mots me saisit – « La journée va finir sans flammes, j’ai prié qu’on n’allumât point » (« Quatre nuits de Provence ») – ce chant est un enchantement, pareil au bonheur de la sieste dans une après-midi provençale.
Il y a, loin de Maurras, une esthétique fasciste : sans être le petit-bourgeois tant moqué par le prolétaire marxiste en salopette bleue, le fasciste est quelque-peu dandy, assurément esthète et réputé perméable à l’art. Cela ne signifie pas pour autant que le jugement fasciste en matière d’art est sûr. Le courant artistique le plus en vogue dans l’Italie fasciste, comme dans l’univers fascisant du Corbusier 9, c’est le peu attrayant « futurisme ».

Les futuristes italiens (exposition « Mostra della Rivoluzione Fascista de Rome » de 1932, pour les dix ans de la Marche sur Rome) comme Enrico Prampolini, Gerardo Dottori et Mario Sironi, ces décorateurs de salles publiques dédiées aux manifestations du parti fasciste, rejetaient hélas le passé, la tradition, pour exalter le monde moderne, l’urbanisation, les machines, la vitesse…
Forcément, une certaine laideur, la sentimentalité du taureau, prévaut. Il me revient à l’esprit cette tirade de Claude Rich lancée à Lino Ventura dans « Les Tontons Flingueurs ». Je cite ce passage savoureux : « Vous faites sans doute autorité en matière de bulldozer, de tracteur et caterpillar, mais vos opinions sur l’art en général, je vous conseille de ne les utiliser qu’en suppositoire. »
L’art futuriste de l’Italie des années 1920, est une représentation lourde, massive et froide, qui rappelle l’art soviétique.
Mussolini en reviendra et aura l’occasion de rappeler que l’esprit fasciste n’est pas méprisant du passé et des traditions. Voici ce qu’il écrivait : « L’état fasciste ne reste indifférent, ni en face du fait religieux en général, ni en face de cette religion positive particulière qu’est le Catholicisme italien. » (« Doctrine du Fascisme ») Comme je viens de le dire, l’art futuriste, celui de Dottori (ci-dessus) par exemple ne me paraît pas particulièrement attrayant. Au contraire, les créations de l’Albert Speer, dans l’Allemagne des années 1930-40, sont plus gracieuses, rappelant l’esthétisme des civilisations grecques et romaines.
Revenons à José Antonio Primo de Rivera. Les phalangistes, rappelle Pierre Sidos, rêvaient de l’étrange lyrisme de ce « pessimisme enthousiaste » vanté par José Antonio, :
« qui déroge certes de la mise en équation des programmes et autres catalogues des partis de droite comme de gauche, ou autres cercles intellos. Lorsque José Antonio parlait, au théâtre de la Comédie de Madrid (pour la fondation de la Phalange), d’un « mouvement poétique », ce n’était pas un effet de style oratoire. Il tenait à ce que le mouvement répondît à certains critères esthétiques, répudiant tout penchant pour l’abstraction. José Antonio avait une profonde antipathie pour ceux des hommes politiques qui, ne comprenant que les chiffres, jamais ne comprennent un poème. Par ses écrits, ses discours, par les exemples qu’il a donnés dans sa vie privée et publique, il a réussi à magnifier la politique en mystique. Et cette mystique, qui est de la poésie en action, a auréolé ses disciples et pérennisé ses idées. José Antonio est le chantre de la jeunesse de l’Europe, de l’Europe qui, pour lui et pour nous, n’est pas seulement un continent, mais une civilisation commune, constituée et portée par des nations historiques, chacune étant une unité de destin particulier dans l’universel. Chantre par extension signifie poète, ainsi le chantre d’Achille, c’est Homère. Il n’est question aujourd’hui que du réchauffement de la planète, alors que par la domination des chiffres sur les lettres c’est plutôt de la glacification de l’humanité qu’on a tout à craindre. »
« Face au Soleil »
Je termine sur l’évocation de l’hymne phalangiste, « Cara al Sol » qu’entonnent fièrement, chaque 20 novembre à Madrid, les nationalistes espagnols en chemise bleue. Ces précieuses informations me sont fournies, bien entendu, à nouveau par Pierre Sidos.
Dans le Madrid des années 1930, le quartier-général phalangiste était situé à « La Ballena Alegre » (La Baleine joyeuse), 59 rue d’Alcala, qui était le nom donné au sous-sol du café « Lion ». De 1931 à 1936 s’y réunissaient nationalistes et gauchistes, sans haine particulière. Federico Garcia Lorca, Gabriel Celaya y croisaient facilement les militants phalangistes autour de José Antonio 10. Chaque soir quand surgissait le Chef dans ce sous-sol embrumé par la fumée des cigarettes, il lançait la même question : « Et l’hymne ? » Quand aurons-nous notre hymne de guerre ? Voici ce qu’il expliquait à ses chemises d’azur :
« Ce doit être une chanson d’amour et de guerre. Le phalangiste dit adieu en pleine clarté, à la femme qu’il aime, il s’en va avec la chemise bleue qu’elle lui a brodée pour le combat. Il pense à la mort gaiement, car le phalangiste ne meurt jamais ; car le phalangiste tombé reparaît à la place d’honneur, qui est au ciel pour les braves. Là-haut il montera sa garde, auprès de ceux qui sont tombés comme lui, ou qui tomberont encore, et il assistera, extatique, au glorieux labeur des siens. Il part pour la guerre et porte dans son âme la plus sûre des prophéties : le retour des couleurs victorieuses dans le printemps splendide qu’attend notre terre espagnole, qu’attendent le vent et la mer (…). S’il revient, les cinq flèches rouges de sa poitrine auront fleuri en cinq roses pour son aimée : la rose de la Foi, la rose du Sacrifice, la rose de la Vaillance, la rose de la Paix et la rose de l’Espagne. Il faut que ce soit une chanson de guerre et d’amour, notre chanson. Mais aussi une ballade de l’adieu, après lequel les uns reviendront et les autres présenteront les armes au mystère ».
« Cara al Sol » : la musique est attribuée à Juan Telleria, explique Pierre Sidos, les paroles seraient d’Augustin de Foxa, José Maria Alfaro, Jacinto Miquelarena « mais l’âme de la chanson, la mélodie et la poésie sont de José Antonio. « Face au soleil », composé en décembre 1935. Pour les chrétiens, le « Soleil de Justice » c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Laissons notre mot de conclusion à Pierre Sidos :
« Moins d’une dizaine d’années après l’apparition du « Cara al Sol », à la suite de la Seconde guerre mondiale, deux mille jeunes nationalistes français étaient concentrés comme prisonniers politiques au camp du Struthof, en Alsace, près de Strasbourg. J’étais l’un d’entre eux. Affamés et transis, sans nouvelles de l’extérieur, presque sans possibilités de lecture, certains trouvèrent une échappatoire, qu’ils communiquèrent aux autres, dans l’évocation de la guerre d’Espagne, en rappelant que Robert Brasillach avait justement écrit dans les Sept couleurs : « Les hommes de ce temps auront trouvé en Espagne le lieu de toutes les audaces, de toutes les grandeurs et de toutes les espérances ». Sur l’air du « Cara el sol », ils avaient imaginé des paroles en langue française, auxquelles ils donnèrent le titre de « Chanson de José Antonio », hymne de la jeunesse européenne, dont je vous livre la conclusion à l’occasion de ce centenaire du Chantre de la jeunesse européenne : « En avant, compagnons d’infortune, la Patrie par nous restera Une. Le drapeau que nous servons, sortira de son oubli, et quand le printemps refleurira, il flottera épanoui ».
Alors ?
José Antonio Primo de Rivera ?
Présent !
Pierre Sidos ?
Présent !
- Précisons. José-Antonio, a toujours éprouvé de la bienveillance envers les chemises noires italiennes. Cependant, en raison de la différence entre la spécificité toute italienne du mouvement de Mussolini et celle de l’Espagne, José-Antonio a toujours refusé de qualifier sa Phalange de « fasciste ». ↩︎
- Le 5 juin 2013, un groupe d’antifas est pris dans bagarre violente l’opposant aux skinheads de « Troisième Voie ». Le gauchiste Clément Méric y trouve la mort. Suite à ce drame, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls décrète, le 24 juillet suivant, trois dissolutions d’organisations politiques nationalistes : celles de « Troisième Voie » et de son service d’ordre les « Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » (JNR), mais également de « l’Œuvre française » bien que les militants de Pierre Sidos ne soient absolument pas impliqués dans cette affaire. Ainsi, un mouvement, pourtant innocent de la mort de Clément Méric, est dissous par un ministre sur ce seul acte d’accusation : L’Œuvre française « propage une idéologie xénophobe et antisémite, des thèses racistes et négationnistes, qui exalte la collaboration et le régime de Vichy et qui rend des hommages réguliers au Maréchal Pétain, à Brasillach ou à Maurras. » Désormais dans cette république, garantissant la libre circulation des idées, la mort dramatique d’un militant de gauche tué par des nationalistes peut servir de prétexte pour interdire telle association étudiant Maurras, condamner tel écrivain contre-révolutionnaire ayant publié sur Brasillach ou Pétain. Voilà où nous en sommes. Réfléchissez et dites-moi si nous ne vivons pas sous une tyrannie communiste ? ↩︎
- « José Antonio Primo de Rivera chantre de la jeunesse – reproduction de l’exposé fait par Pierre Sidos de l’Œuvre française, le 21 juin 2003, à Paris, sous l’égide du Cercle franco-hispanique » édité par Les Études nationalistes (mai 2008). ↩︎
- José Antonio Primo de Rivera y Saenz de Heredia, était Grand d’Espagne, comme marquis d’Estella. En 1948, il recevra du Caudillo Franco, à titre posthume, le titre de 1er duc de Primo de Rivera. ↩︎
- « Frente Crapular » ainsi que le renommaient les nationalistes espagnols. ↩︎
- Il va de soit que ne sont compris dans cette proposition que les comportements politiques conformes à la foi, aux bonnes mœurs et à la discipline de l’Église. ↩︎
- Sous prétexte que nous subissons constamment les agressions du monde extérieur, certains prêtres s’improvisent meneurs d’hommes, ce qui n’est pas leur rôle dans le domaine temporel. ↩︎
- Charles Maurras a cependant été, également, un poète. Signalons-le, même si ses « poèmes érotiques », récemment rassemblés par Jean-Christophe Buisson (« Charles Maurras – L’Avenir de l’Intelligence et autres textes » chez Laffont, collection « Bouquins ») le font tomber sous le coup d’une condamnation, à la fois de l’Église et de la morale. ↩︎
- L’architecte et artiste Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier (1887-1965) aurait pris part à l’aventure fasciste, ce dont témoignerait le livre de Xavier de Jarcy paru en 2015, « Le Corbusier, un fascisme français » chez Albin Michel. ↩︎
- Gabriel Celaya décrit cette ambiance extraordinaire avant 1936 : « Nous étions à une table, et à celle d’en-face il y avait une autre tertulia, avec tous les fondateurs de la Phalange : José-Antonio Primo de Rivera, Jesus Rubio (qui fut ensuite ministre), José Maria Alfaro … Nous nous connaissions tous et nous nous insultions, mais c’était comme un jeu […]. Il n’y avait pas d’hostilité. […] Nous nous voyions aux mêmes expositions, aux mêmes concerts, aux mêmes pièces de théâtre. Madrid était tout petit… » ↩︎