La Croisade

La croisade, de nos jours, est partout : croisade des démocraties (contre Saddam Hussein, puis actuellement contre Vladimir Poutine), contre le tabagisme, etc. La définition précise du mot ne peut décidément pas se satisfaire de son sens moderne (contre un mal). On doit d’abord dire que cela désigne un ensemble de dispositions juridiques romaines, qui trouvent leur origine dans le pouvoir direct du successeur de Saint Pierre ; le droit d’appeler à la Croisade. Ce droit lui revient ordinairement. Est-ce donc la papauté qui a créé la croisade et comment tout a commencé ?

Comment la Croisade est-elle née ?

Les campagnes militaires pour repousser la barbarie existaient depuis la nuit des temps, mais ce qu’on appelle « croisade » au sens strict est bien une création pontificale. Des expéditions militaires historiques, bénies par l’Église, ont donné naissance à cette institution, qu’on nommait alors « pèlerinage armé ». On allait en pèlerinage pour délivrer les lieux saints de l’occupation militaire des infidèles et secourir, par là-même, les populations chrétiennes martyrisées.

Mais faisons un bond dans le temps jusqu’aux premiers siècles.

La frontière avant la Croisade

Le droit de défense est un droit légitime car avant de songer à défendre les autres, il est nécessaire de penser d’abord aux siens.

Les Romains considéraient avec incompréhension et crainte, ces populations barbares venus de l’est. Le mot désignait les peuplades qui ne parlaient ni le latin ni le grec. Les légions avaient donc hérissé, le long des frontières de l’empire, ces « limes » (remparts) qui étaient des kilomètres et des kilomètres de hautes palissades en bois, défendues par des pieux aiguisés et des fossés remplis d’eau, avec des postes de surveillance juchés à intervalles réguliers. Les limes étaient protégés par des garnisons de légionnaires appuyés par des troupes auxiliaires prélevées sur les pays conquis. L’Europe historique a gardé le souvenir des murs d’Hadrien et d’Antonin en province de Bretagne (actuelle Grande-Bretagne), ou d’Afrique du Nord, ou bien ce très long limes construit le long du Rhin et du Danube. Ensuite ces frontières de bois ont été par endroits remplacés par des fortifications de pierre.

Avec la conversion de Constantin Ier dit Le Grand, le nom de « barbares » a ensuite désigné les peuples non chrétiens dont il fallut bien protéger la Chrétienté de leurs raids meurtriers. Déjà sous Charlemagne, il y avait eu des expéditions militaires, par-delà les limes romains pour repousser ces barbares : en Hispanie contre les Sarrasins, contre les Vikings danois et scandinaves remontant la Seine, à l’Est contre les Hongrois, les Slaves, et les Turcs…

Avec Constantin Ier, l’Empire était devenu cette République Chrétienne, ou Chrétienté ainsi qu’on l’appelait dès le XIème siècle. Il ne s’agissait plus d’une culture gréco-latine, mais d’une vaste communauté chrétienne à protéger. En effet, les lieux saints, et leurs populations alentour devaient être protégés.

Des lieux renommés comme Jérusalem, Compostelle, faisaient le plein de pèlerins. Cela attirait la convoitise des bandes de pillards turcs ou berbères.

Comment la définir ?

Les légistes romains qui légiféraient sur cette question brûlante, butaient sur le problème des droits à concéder (ou à refuser), aux infidèles qui auront été vaincus.

N’ont-ils aucun droit ?

Peut-on les dépouiller sans pêcher 1 ?

Que la Sainte Église refuse aux infidèles les mêmes droits accordés au chrétien, il y eut effectivement des théologiens pour le souhaiter au Moyen-Âge. C’était en particulier l’opinion de l’italien Gilles de Rome (1247-1316) dit le Prince des Théologiens. Les clercs se rangeant à son avis estimaient que les croisés pouvaient se livrer impunément aux pires exactions sur les infidèles et les dépouiller sans être tenu au respect de la parole donnée. On est bien loin de la pensée de Louis IX de France, le saint Roi Croisé. Les légistes vont mettre bon ordre à tout cela en décrétant désormais  :

1 – L’infidèle vaincu conserve ses droits naturels.
2 – La guerre contre les infidèles n’est pas « juste », si elle ne redresse pas une injustice. 
3 – Il est interdit de faire la guerre aux infidèles pour les convertir.
4 – Il faut respecter les traités conclus avec les infidèles

C’est très important de le savoir (et de le crier sur les toits) quand les spécialistes de plateaux de télévision affirment le contraire (ou oublient de le dire) … Contrairement aux dires des historiens modernes, la croisade n’est pas l’équivalent du « djihad » : les chrétiens doivent être convertis ou tués. Les vaincus perdent leurs droits ipso-facto sous la loi coranique à laquelle ils doivent être soumis. Il suffit de se souvenir de ce qui s’est passé en Syrie, depuis la chute du régime de Bachar El Assad, pour bien se représenter ce que vécurent les chrétiens de Jérusalem au Xième siècle jusqu’à l’arrivé des croisés de Godefroy de Bouillon. Le caractère de la croisade est donc une guerre codifiée par des dispositions catholiques.
Le croisé est d’abord chrétien. Cela vaut aussi pour la guerre à laquelle il est amené à participer. Les ordres religieux-militaires seront l’incarnation d’une croisade permanente et les religieux-chevaliers seront en général (au contraire de la masse des autres croisés francs) admirés même par leurs ennemis mahométans. Qui a le droit de déclarer puis de conduire la Guerre Sainte ?

Ses chefs

Historiquement la conduite de la Croisade était d’abord le privilège du chef militaire le plus puissant de la Chrétienté, l’Empereur. Depuis la fin de l’empire carolingien, ce droit sera concédé aux rois catholiques d’Europe. Comme le chevalier par son adoubement, à son sacre le monarque a reçu l’épée dans le but de protéger les terres chrétiennes. Charlemagne écrit ceci au pape saint Léon III :

« Notre rôle à Nous est de défendre au dehors l’Église du Christ, avec le secours de la bonté divine, contre les incursions des païens et les ravages des infidèles, et de la fortifier au dedans par la diffusion de la foi catholique. A Vous, Très Saint Père, il appartient d’aider notre combat en élevant les mains vers Dieu comme Moïse, afin que, par votre intercession, sous la conduite et avec la grâce de Dieu, le peuple chrétien soit victorieux partout et toujours sur les ennemis de Son Saint Nom. »

Aux termes du Traité de Verdun cependant, en l’an 843, la descendance de Charlemagne va se partager l’empire en royaumes rivaux. La coutume carolingienne partageait l’héritage entre tous les héritiers (plutôt que l’attribution au seul fils aîné, aux termes de la loi salique des Francs saliens).

L’autorité impériale n’étant plus, la papauté va conduire elle-même la croisade ; le Souverain Pontife est en effet le Vicaire du Christ ; la croisade est donc de son ressort. Saint Grégoire VII, à titre d’exemple, voulut la conduire lui-même. Cependant il mourra (1085) dix ans avant la Première Croisade qui sera prêchée par son successeur Urbain II. Ce pape nommera l’évêque du Puy Adhémar de Monteil, légat pontifical pour le représenter auprès de Godefroy de Bouillon…

C’est sous le pontificat du pape Urbain II que la croisade sera codifiée. Que garantit-elle et qu’ordonne-elle ?

Privilèges et obligations

Bulle de Croisade et Prédication. Afin qu’aucun prince chrétien ne puisse ignorer la volonté du pape, l’appel est lancé par une Bulle de Croisade.
Ce texte expose les motifs pour lesquels le Souverain-Pontife se permet de déranger les barons chrétiens. Le chef de l’Église met en œuvre son pouvoir direct, puisque la Chrétienté est en péril : les chrétiens d’Orient sont menacés par un ennemi infidèle 2. Il s’agit donc bien d’une guerre de défense, et non d’agression…
Avec des accents qu’on retrouvera plus tard chez saint Bernard, le pape rappelle que la parole du Christ (« il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ») vaut spécialement dans le cas de la croisade. C’est ce que dit aussi le pape Urbain II appelant les chrétiens à la croisade « c’est un acte de charité de donner sa vie pour ses frères ».

Vœu de la Croix (Votum Crucis). C’est un engagement militaire par vœu.
Pour bien montrer aux autres qu’il s’est engagé, pour un certain nombre de jours, le croisé doit coudre visiblement une croix écarlate sur ses vêtements. Étant donné que ce vœu engage la délivrance des lieux saints et la défense des chrétiens martyrisés, le briser serait cause d’un péché mortel et d’une excommunication : seul le pape peut dispenser de la croisade pour motifs graves.

Indulgence. Le pape accorde l’indulgence plénière des péchés confessés et pardonnés. Cette indulgence était aussi accordée à ceux qui, ne pouvant partir (maladie, vieillesse, etc.) aideraient la croisade comme ils le pourraient.

Privilèges. En accomplissant le Vœu de la Croix, le chrétien se met sous la protection de la Sainte Église : nul ne peut plus s’en prendre à sa famille ou à ses biens, durant la croisade, sans encourir de lourdes condamnations. On distingue 5 privilèges temporels :

1 – l’essoine : nul ne peut intenter de procès à un croisé avant son retour.
2 – dispense d’intérêt : le ou les créanciers du croisé ne peuvent percevoir aucun intérêt durant tout le temps de la croisade.
3 – répit : le croisé n’est pas tenu de rembourser le capital avant son retour.
4 – exemption : le croisé n’est soumis à aucune imposition ni taxation avant son retour.
5 – for : le croisé accusé de crime a le droit, comme les prêtres, d’être jugé par un tribunal ecclésiastique, et non par un tribunal civil.

La Croisade est une guerre sainte entreprise pour délivrer la Terre Sainte de la tyrannie des infidèles. Devant le péril grandissant des ennemis du Christ Jésus, l’Église va étendre les privilèges de la croisade à tous les combats aux frontières de la Chrétienté, voire en son sein (Croisade contre les Albigeois). En 1215, le IVème Concile de Latran déclare que les combattants catholiques armés contre les hérétiques pourront jouir « de la même indulgence et du même privilège que l’on concède à ceux qui se rendent en Terre Sainte. »
La croisade va ainsi progressivement s’étendre à toutes les guerres que les guerriers chrétiens mèneront contre les infidèles et les hérétiques : contre les albigeois du sud de la France en 1208,  en Allemagne en 1234 contre les Stedingers 3, dès 1420 en Bohème contre les hussites. A chaque fois qu’un péril menace la chrétienté, le pape peut décréter la croisade.
Mais la papauté prêchait alors à des foules chrétiennes. Il en sera autrement au XXème siècle, dans un monde déjà largement déchristianisé.

Qu’est devenu l’esprit de Croisade ?

Pie XII avait pourtant songé à appeler à la Croisade, lors de l’invasion soviétique en Hongrie. Il l’évoqua en termes choisis dans son radio-message de Noël 1956 (c’est nous qui soulignons en italique) :

« Quant à Nous, en tant que Chef de l’Église, Nous avons évité dans le cas présent comme dans les précédents d’appeler la Chrétienté à une Croisade. Nous pouvons cependant demander que l’on comprenne bien le fait que, là où la religion est un héritage vivant des ancêtres, les hommes conçoivent comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l’ennemi. Mais ce que Nous affirmons pour tous, en face de la tentative de faire apparaître comme inoffensives certaines tendances nocives, c’est qu’il s’agit de questions qui concernent les valeurs absolues de l’homme et de la société. À cause de Notre grave responsabilité, Nous ne pouvons laisser dissimuler ceci dans la brume des équivoques (…) »

Cela appelle plusieurs remarques.
– Le pape rappelle parle  – solennellement-  en tant que « Chef de l’Église ».
– L’expression « cas présent » évoque l’invasion soviétique en Hongrie.
– Le pape précise qu’il a « évité » d’appeler à la Croisade. Cependant cela indique, par le fait même, qu’il en a le droit. On a vu que ce droit historique millénaire lui appartient, justement de par sa fonction de « Chef de l’Église ».

Nous sommes cependant, alors, au cœur d’un siècle appesanti par le matérialisme et la perte de la foi. Combien de catholiques de 1956, depuis la France ou l’Allemagne par exemple, se seraient scandalisés de l’invasion de la Hongrie par les hordes marxistes ?
Mais alors que les catholiques ne bougeaient pas en France pour manifester leur soutien à leurs frères hongrois, d’autres militants, eux, avaient décidé de réagir à leur manière. Ce furent les nationalistes de Jeune Nation qui mettent à sac le siège du Parti Communiste en 1956…
 
Revenons brièvement au radio-message pontifical. Les termes sont admirablement bien choisis pour éviter de froisser la susceptibilité ombrageuse du maître du Kremlin. Il est vraisemblable que le pape Pie XII s’est abstenu d’exercer son droit légitime de croisade, par prudence.
Soulignons que le langage du maître du Vatican n’est pas le suivant : la croisade est une valeur dépassée. Au contraire, le pape, sans le dire : Nous détenons le droit d’appeler à la Croisade mais Nous ne le ferons pas, par prudence.
Quels sont donc les raisons qui ont bâillonné le Saint-Père ? Il est vraisemblable que la puissance de l’URSS lui aurait fait craindre les pires représailles sur le peuple chrétien hongrois. Il est également vraisemblable que l’Amérique (prétendument anti-communiste) qui permit à Vorochilov de s’emparer tranquillement de la Hongrie, n’aurait pas laissé se dérouler une nouvelle croisade antibolchevique en Europe… Alors, en ce cas, qui se serait croisé ?
 
Cet appel aurait été entendu, avant 1945. La marche victorieuse des nationalistes espagnols en 1936 était, une croisade. L’union des armées nationalistes européennes en 1941 pour lutter sur le Front de l’Est sous direction allemande était aussi une croisade, même si, pour ces deux cas manquait la bulle (de croisade). Cependant l’Occident depuis n’était plus la Chrétienté. Voilà pourquoi, vraisemblablement le pape n’a pas appelé à la Croisade, même si le Saint-Père y songea.
 
J’ai fait mention de la réaction de nationalistes français. 1956, comme les communistes français s’étaient permis d’applaudir la répression sanglante des Hongrois par les chars de l’Armée Rouge, le 7 novembre 1956, les militant de Jeune Nation saccagent les locaux du Parti Communiste :
« Les forces de l’ordre ne purent rien contre notre nombre et notre détermination ce soir là. En tête des assaillants contre l’immeuble du PC se trouvaient « les troupes de choc » habituelles de l’activisme anti-communiste : les militants de Jeune Nation, des étudiants nationalistes, les combattants d’Indochine. Retranchés au premier étage de l’immeuble, les Cocos nous accueillirent avec des cocktails Molotov. Beaucoup de nos camarades durent se replier les vêtements en flammes. C’est alors qu’un petit groupe réussi à s’emparer des échelles accrochées au candélabre de l’angle gauche de l’immeuble, s’en servi comme béliers pour enfoncer la porte blindée du rez-de-chaussée et pénétrer dans l’immeuble. Malheureusement, l’accès aux étages étant bloqué, ils durent se replier d’autant que les cocktails Molotov lancés des étages supérieurs avaient aussi contribué à mettre le feu à l’immeuble (un incendie que les pompiers mirent plus d’une heure à maîtriser).C’est alors qu’un autre mot d’ordre circula parmi les assaillants : « Tous à l’imprimerie de l’Huma » qui se trouvait à quelques centaines de mètres, boulevard Poissonnière. Là aussi nous étions attendus, mais faisant place aux cocktails Molotov, ce sont les pavés d’imprimerie en plomb qui se mirent à pleuvoir sur nous. Un jeune étudiant courageux qui avait réussi à atteindre de manière audacieuse les locaux du Journal fut surpris par les Rouges et jeté du deuxième étage sur une verrière du rez-de-chaussée. Durant ce laps de temps, toutes les communes communistes de la banlieue avaient mobilisé leurs troupes et affrété des cars entiers de militants appelés à la rescousse pour nous faire face. Le grand affrontement eu lieu à l’angle du boulevard Poissonnière et de la rue Montmartre. Une bagarre violente et sanglante qui dura plusieurs heures, qui fit de nombreux blessés des deux côtés mais qui nous laissa finalement maîtres du terrain, les Cosaques ayant dû déguerpir. Ce soir là, Paris était vainqueur mais Budapest vaincue ! ».

(Source : jeune-nation.com)

C’est avec des actes de bravoure tels que celui-ci, que je dis, avec Maurras, que le mouvement nationaliste exerce la régence de l’Ordre traditionnel défunt. Mais concluons sur la croisade. On voit que ce n’est pas une manie féodale. C’est une institution de la Sainte Église que celle-ci, par prudence politique, ne réveilla pas depuis le XIXème siècle. Cependant, en cas de submersion totale de l’Occident par les idées et les armées de l’athéisme le plus effroyable (n’y sommes nous pas ?), l’appel à la Croisade par Rome serait souhaitable. Commençons déjà par une croisade personnelle (formation, sacrements, rosaire) afin que la révolution, si elle arrive sur nous, ne passe pas par nous.

Retrouvez notre article Brève Chronologie des Croisades & du Saint Royaume Latin (1070-1291) .


  1. On ne parle évidemment pas ici des biens volés aux chrétiens. ↩︎
  2. (de « fide », la foi) Infidèle : ne faisant pas partie de la communion des fidèles. ↩︎
  3. Sédition des paysans allemands contre le Prince-Archevêque de Brême, qui obtint du pape que soit décrétée la croisade. ↩︎

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