Faut-il aimer la Tradition catholique ? (2)

II – L’Apogée de la Chrétienté (le XIIème siècle)

Vous avez peut-être déjà fait, par la RN 88, la route de Lyon à Saint-Étienne : arrivé à Villars (Loire), vous voyez les mêmes paysages qu’à Givors (Rhône). Tout parait n’être qu’un seul et même pays, et c’est effectivement le cas, la vieille province du « Lyonnais » 1. Il en va un peu de même pour la datation historique. La période du « Moyen-Âge » est difficile à définir avec précision. La plupart des historiens la situent entre la chute de l’Empire Romain, vers l’an 476, et la perte de Constantinople en 1453. Reprenons ma comparaison de la route entre Givors et Villars : alors que seulement trois ans les séparent, la victoire de Charles VII à Formigny (15 avril 1450) appartient au Moyen-Âge, tandis qu’avec la fameuse bataille victorieuse de Castillon du 17 juillet 1453 2, nous entrons dans l’ère dite de la Renaissance. Les historiens ne sont pas même d’accord sur le sujet ; certains établissent la fin de l’ère médiévale à la date de la découverte de l’Amérique par Colomb (1492).
Convenons que le Moyen-Âge se situe entre le Vème et le XVème siècle : de ce millénaire, retenons que les années 1.100 et 1.200 représentent les centenaires les plus resplendissants, les siècles de Saint Bernard, de saint Louis, de saint Thomas d’Aquin, des grandes croisades, des ordres militaires !

Saint Bernard domine La Chrétienté d’Outre-Mer

On peut dire que la figure lumineuse de saint Bernard (1090-1153) domine son siècle. Vous le voyez ici dans ce vitrail de 1506, en compagnie de son père Tescelin de Fontaine et de sa mère la Bienheureuse Aleth. C’est saint Bernard qui a été l’âme, non seulement de la Seconde Croisade, mais de la Terre Sainte elle-même, puisqu’il insuffla la vie et l’ardeur spirituelles aux chrétiens du Royaume Latin de Jérusalem, ainsi qu’aux premiers chevaliers du Temple tout spécialement. Mais revenons plus de cent ans avant sa naissance.
            En l’an 969 les Arabes fatimides occupent la ville où le Christ Jésus a souffert sa Passion. L’une de leurs premières mesures est de raser la Rotonde abritant le Saint-Sépulcre. Mais en 1071, le chef militaire turc Atsiz ibn Abaq conquiert Jérusalem, au nom du sultan turc Alp Arslan, qui est le maître de l’empire byzantin et en chassera le dernier califat fatimide. Cette occupation turque seldjoukide fera endurer les pires tourments aux Chrétiens d’Orient.

1090 –  C’est l’année de naissance de saint Bernard à Fontaine-Les-Dijon au sein d’une famille de haute noblesse bourguignonne. Son père, fier chevalier, est Tescelin Le Roux (1070-1117) et sa mère est la Bienheureuse Aleth (1070-1107).
Je m’arrête un peu sur elle. Cette sainte bourguignonne est la fille du comte Bernard Ier de
Montbard. Elle a pour frère le chevalier André de Montbard qui se fera templier, devenant même le cinquième Maître de l’Ordre du Temple. En 1085, elle épousera le sire Tescelin Sorrel seigneur de Fontaine, et vassal du duc Eudes Ier de Bourgogne. Le couple seigneurial aura six fils, dont notre saint Bernard et saint Gérard, et une fille, sainte Ombeline.

1095 – Suite aux multiples démarches de l’ancien chevalier devenu religieux Pierre L’ermite, le pape Urbain II appelle à la Première Croisade. La Ville Sainte sera délivrée le 15 juillet 1099 par les armées croisées de Godefroy de Bouillon duc de Basse-Lorraine. Comme les barons avaient des rêves de royaume, ils songeaient au vainqueur de Jérusalem. Cependant le puissant duc Godefroy, ne voulant pas porter une couronne d’or dans la ville où le Christ ne porta qu’une couronne d’épines, ne prit que l’humble titre d’Avoué (Protecteur) du Saint-Sépulcre. Le nouveau Maître de Jérusalem ne durera pas longtemps. Il périt, empoisonné pense-t-on, le 18 juillet 1100.

Son frère Baudouin lui succède en tant que Baudouin Ier (1100-1118). Il sera couronné Roi de Jérusalem à la Noël de l’an 1100 en la Basilique de la Nativité de Bethléem. Le Royaume de Jérusalem ne tardera pas à être fondé, sur le modèle des royaumes francs d’Occident, sous le nom de Royaume Latin d’Orient. Il sera connu dans le monde chrétien sous le nom glorieux de « Terre Sainte » ou de « Saint Royaume ». Le roi Baudouin Ier va vite se retrouver confronté à une première urgence : les états chrétiens, qui s’étendaient de l’actuelle Turquie à l’Arabie étaient d’une superficie moindre que celles de leurs voisins syrien et égyptien. Enfin, la plupart des croisés, leur vœu de Croisade accompli, rentraient en Europe. C’est alors que la Providence va susciter les « Chevaliers du Christ », les Templiers.
             Sept à huit ans avant leur apparition sur la terre de Palestine, saint Bernard décide de se faire moine à l’age de 23 ans. Il était passionné de chevalerie et considérait même la vie religieuse comme une Milice chevaleresque et l’appelait « Militia Christi » (Chevalerie du Christ). C’est d’ailleurs sous son impulsion que quelques ordres militaires reprendront aussi à leur compte cette appellation de « Militia Christi ». Cependant l’exemple peu édifiant de ses père et oncles, qu’il voyait se battre pour un oui ou pour un non avec les châteaux voisins lui faisait condamner cette « Militia », qu’il renommait « Malitia » par un astucieux jeu de mots. Le Saint approuvera vivement, cependant, la chevalerie à venir de l’Ordre du Temple, (qu’il nommera « nouvelle Chevalerie ») rachetant les crimes de la « Malitia ». 3 

En 1112 les moines bénédictins de Citeaux, au sud de Dijon, accueillent donc dans leur communauté le fils de Tescelin et de dame Aleth, qu’ils connaissent bien (la noble famille de Fontaine possède de vastes domaines près de Montbard, Alise Sainte-Reine et Dijon). Bernard est accompagné d’une trentaine de compagnons, désireux également de rejoindre la « Milice de Jésus-Christ ». Saint Bernard fondera lui-même les abbayes de Clairvaux, puis de Troisfontaines (1115), de Fontenay (1118) et de Foigny (1121). Clairvaux sera la maison-mère de 341 abbayes, existantes du temps du saint fondateur. Quinze ans après son entrée à Clairvaulx, saint Bernard est nommé Abbé de l’Ordre religieux.
             La protection de Jérusalem et de ses pèlerins venus de la côte, et des domaines des moines franciscains veillant sur le Tombeau du Christ, était assurée par une poignée de chevaliers, qui avaient laissé l’Europe pour cette vocation. On ne parlait pas encore de Templiers ; il s’agissait de preux chevaliers qui avaient juré fidélité au patriarche latin de Jérusalem, installé à ce poste par Godefroy de Bouillon après la prise de la Ville Sainte. Je vous conseille de vous rapporter à la partie consacrer aux ordres militaires, et tout spécialement aux Templiers, pour en savoir plus sur l’histoire de leur fondation.

En 1144 la ville d’Edesse, et tout le comté, s’effondrent, assiégés par les Turcs de Zengi, l’atabeg de Mossoul et d’Alep. Cette nouvelle effroyable parvient en Europe : la Terre Sainte est menacée de mort. Une nouvelle croisade est décidée. 

             Le 31 mars 1146, saint Bernard prêche, lors de Pâques, cette Deuxième Coisade, à la demande du pape Eugène III, et du roi de France Louis VII qui prendra la croix, donnant ainsi l’exemple à la foule enthousiaste assemblée à Vezelay. Comme à son habitude, le Saint justifie surnaturellement les combats que la Chrétienté devra entreprendre. La croisade, qui sera un échec, se terminera trois ans plus tard. Saint Bernard meurt âgé de 63 ans le 20 août 1153. Il sera canonisé par Alexandre III le 18 janvier 1874. Son crâne repose à la cathédrale de Troyes.

Le XIIème siècle a été celui de la formation des premiers grands ordres religieux-militaires, de grandes nations, l’Angleterre des rois français Plantagenets 4, l’Allemagne qui devient unie et puissante sous l’empereur Frédéric Ier Barberousse. En France les rois Louis VI et Louis VII élargissent patiemment le domaine royal. Saint Bernard encourage le développement de l’« art épiscopal » (art gothique). Les guerres privées disparaissent au XIIème siècle. Les villes se développent économiquement, obtenant leurs émancipations du domaine royal par des chartes communales.

Cependant de noirs périls se profilent à l’horizon du XIIIème siècle naissant : les luttes entre l’Église de Rome et l’Empire des Césars allemands, les menaces mortelles contre la Terre Sainte, la souveraineté des papes romains et le plus prestigieux des ordres militaires menacés par le Fils Aîné de l’Église, la Peste Noire, la Guerre de Cent Ans…
 
C’est ce que nous verrons la fois prochaine.   


  1. L’ancienne province du Lyonnais correspond aujourd’hui à la région lyonnaise, au département du Rhône ainsi qu’au département de la Loire. La langue traditionnelle du Lyonnais est l’Arpitan, un dialecte franco-provençal parlant le lyonnais, le forézien et le beaujolais. ↩︎
  2. L’armée royale de France remporte, à Castillon, la victoire décisive sur l’envahisseur anglais. C’est à la bataille de Castillon, du 17 juillet 1453, que le chef ennemi John Talbot comte de Shrewsbury et de Waterford, ennemi juré de sainte Jeanne d’Arc morte vingt-deux ans plus tôt, trouve la mort à son tour. ↩︎
  3. Vers 1130, saint Bernard écrit une longue lettre à Hugues de Payns, fondateur de l’Ordre du Temple, une lettre connue sous le nom de « De Laude Novae Militiae » (« Louange à la Nouvelle Chevalerie ») ↩︎
  4. La Maison Plantagenêt (qui ne prendra le nom de Plantagenêt qu’au XVIème siècle, quoi qu’en disent les historiens anglais, que lorsque le fils illégitime d’Edouard IV d’York intégrera le genêt dans son cimier et se fera appeler Arthur Plantagenêt.) est une dynastie royale française issue de la première maison d’Anjou par le mariage (1127) de Geoffroy V, fils  de Foulques V d’Anjou, et de Mathilde fille d’Henri Ier Beauclerc duc de Normandie et roi d’Angleterre. ↩︎

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