Comprendre le Traditionalisme
UN PARFUM DE ZORRO

Quel royaliste français, un brin romantique tout de même, n’a pas l’âme andalouse ? L’attachement au catholicisme sans concession, l’élégance hispanique XIXème siècle… C’est un peu ce qu’on retrouve dans les vieux feuilletons (on ne disait pas « séries » à l’époque) de Zorro.
Quel royaliste français n’a pas l’âme espagnole, cette âme irradiante qui ne nous rend pas insensible aux discours (et au sacrifice suprême) de Jose Antonio Primo de Rivera ? Et puis quoi, depuis Louis XIV la vieille rivalité franco-espagnole est enterrée. Quel royaliste français n’a pas brûlé de passion ardente pour cette nouvelle aventure légitimiste espagnole (après les glorieux échecs chouans et vendéens de la période 1792-1832) le Carlisme ?
Il faut avoir lu le chef d’œuvre de Pierre Benoît « Pour Don Carlos » de Pierre Benoît, pour entendre ce battement du cœur. Ce livre est, pour le royalisme espagnol, ce que « Les Manants du Roi » de Jean de La Varende sont pour le royalisme français, une épopée ! Nous verrons cependant que, pour nous Français, l’attachement royaliste doit dépasser le Carlisme (succession à la couronne d’Espagne) pour viser plus haut et mieux : le « Traditionalisme ». Je m’expliquerai à ce sujet. Rassurez-vous, enfants que vous êtes, je reviens à Zorro le Renard, lequel est une bonne introduction au « Traditionalisme » carliste.
Disons-le, aucun acteur de film récent à gros budget, soit trop vulgaire, soit trop loufoque, n’a jamais pu, depuis Tyrone Power, dépasser ni seulement atteindre la classe hispanique de Monsieur Guy Williams dans la veste bolero à dentelles de l’hidalgo Don Diego en 1960 ! Zorro (Renard, en espagnol) est un personnage de fiction, inventé par le romancier-scénariste américain Johnston Mc Culley en 1919. Mais l’écrivain ne l’a pas crée) à partir de rien, comme je vais l’écrire plus loin.

Vous voyez, ici Williams en compagnie de Mc Culley, tous deux commentant un tableau représentant l’acteur Tyrone Power (le Zorro de 1940) dans le costume de Diego.
Zorro est surtout un héros de littérature pour la jeunesse. Il faut dire que ces romans-jeunesse édités par Disney dans années 1960-1970 en Amérique, sont propres. Rien à redire. Mais nous en France… Parfois la subversion est insidieuse au sein de la littérature pour la jeunesse. Parfois ce n’est pas ou-
trageant ni seulement réellement grave. Mais cela a toujours les conséquences les plus fâcheuses. Le libéralisme (sens moral) y aura fait son trou et introduit son cheval de Troie, afin de marquer au fer rouge les jeunes cervelles, comme on marque les veaux dans les ranchs. Pour dire les choses simplement, Zorro est un héros contre-révolutionnaire, que certains éditeurs ont transformé en héros gauchiste.
ZORRO CONTRE LES CARLISTES ?
Je vais essayer de me souvenir pour vous d’un souvenir marquant de lecture, lorsque j’avais 12 ans environ. Le roman, dont je ne me souviens ni de l’auteur, ni de l’éditeur, racontait une aventure de Zorro : don Diego effectuait une traversée sur un navire à voiles. Le héros rentrait en Californie espagnole… Un jour son valet, muet mais pas sourd, l’informa d’un complot qui visait le trône de la reine Isabelle II en Espagne. Le danger qui menace la royauté espagnole, est l’œuvre de fascistes conspirateurs carlistes ! Diego demandera au capitaine (qui est également un ignoble conspirateur) a être déposé dans un port espagnol. Cela met la puce à l’oreille des gredins, qui tenteront de tuer ce gêneur qui en sait trop et le tout sera prétexte à de mémorables duels à l’épée sur le pont du vaisseau. Il me semble que le titre de ce livre (pour enfants) devait être « Zorro contre Don Carlos » ou un nom approchant… On tentait, par ce roman, de persuader nos jeunes esprits que les royalistes libéraux de la reine Isabel de España étaient les gentils, tandis-que les royalistes de Don Carlos (dépouillé de ses droits par cette même Isabelle et, avant elle, par ses parents) étaient eux les méchants !

Pour refermer cette parenthèse, je dirais que je reste estomaqué de constater comment un héros de la littérature enfantine (ce que n’étaient pas les romans de Mc Culley, soit dit en passant) ait pu ainsi être utilisé à des fins de propagande politique ! Le personnage du justicier masqué de Mc Culley provient du héros de la baronne Orczy, le Mouron Rouge, qui lui aidait, bien au contraire, les royalistes français sous la Révolution 1.
Vous voyez ici l’une des illustrations pour « Les Aventures du Mouron Rouge ».
Venons-en maintenant, après cette parenthèse à notre sujet : les Guerres Carlistes.
I- LE CARLISME GUERRIER
« Le quoi ? » tel est ce qu’on s’entend répondre, lorsqu’on demande si quelqu’un a jamais entendu parler du Carlisme…
C’est une réaction normale : si l’Espagnol de la rue n’a jamais entendu parler des chouans de la duchesse Marie-Caroline de Bourbon duchesse de Berry 2, ne nous étonnons pas que les Français aient jamais entendu parler des chouans espagnols, les Carlistes.
Une Querelle de Famille qui dégénère – 1830
Imaginez-vous en Espagnol : vous êtes Prince du Sang. Votre frère le roi n’a toujours aucun successeur. Vous êtes le plus près du trône. Vous êtes le futur roi. Mais voici que votre belle-sœur la Reine fait un caprice de jouvencelle, obligeant son mari à préférer sa fille, à son propre frère, au mépris de la Tradition espagnole…
C’est le moment où, encore ignorant de la chose, vous faites votre entrée en souriant. Mais votre sourire va vite s’effacer. Il est alors normal que vous fassiez part de votre colère à vos amis, que ceux-ci lèvent des troupes : il en va de vos droits et de ceux de vos enfants. C’est cela le Carlisme du départ. A la tête d’une nation ardemment royaliste et catholique, le Roi a sciemment spolié son Successeur. Le scandale est énorme au sein de la Maison de Bourbon…

Pour couronner le tout, si vous me pardonnez cette expression, les peuples des bourgs et des villages, groupés autour de l’église, se sont vite aperçu que les brigands de la cour royale à Madrid étaient ceux qui mettaient en œuvre les politiques les plus anticléricales et les plus impopulaires… Cette noblesse bourgeoise (tout comme en France celle entourant Louis-Philippe) voulait marier les principes royaux avec les idéaux de 1789. Le bon peuple paysan et artisan s’est levé pour voler au secours de l’Infant Carlos ; ce sont les carlistes.
Mais remontons le temps, pour mieux comprendre.
1700 – Louis XIV installe le premier roi Bourbon en Espagne, son petit-fils Philippe V Le Brave duc d’Anjou (1683-1746).
Souvenez-vous de la phrase du fils de Louis XIII : « Messieurs, voici le roi d’Espagne ! Soyez bon Espagnol, c’est présentement votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né Français. » Vous pouvez admirer le portrait de Philippe V ci-dessus. Treize ans après son couronnement, ce roi de sang français avait offert à son nouveau royaume la loi inspiré de la loi des anciens Francs saliens, la loi semi-salique : les filles ne seraient admissibles au trône qu’en l’absence de tout successeur, soit directement soit collatéralement. Or dans le cas présent, le roi Ferdinand avait un successeur en la personne de son frère cadet, lequel fut arbitrairement écarté.

1830 – Ledescendant de Philippe V, Ferdinand VII (1813-1833), (ci-contre) sans héritier, s’avise de faire couronner sa fille, Isabelle de Bourbon qui vient de naître, en s’abstenant de convoquer les Cortès comme il en avait le devoir. Le roi procède donc à la modification arbitraire de l’ordre de dévolution de la Couronne. Le souverain signe, le 29 mars 1830, une « Pragmática Sanción » (Pragmatique Sanction) qui annule la loi semi-salique en vigueur, modifiant de fait la Constitution espagnole. La Tradition est violée.
1833 – A la mort du roi Ferdinand VII le 29 septembre, l’infante Isabelle est proclamée reine, sous le nom d’Isabelle II (1833-1904), par sa mère Marie-Christine de Bourbon-Siciles. Don Carlos, depuis le Portugal où il s’était réfugié, se proclamait « Carlos V Rey de España ».
Les partisans de la Régente Marie-Christine gouvernant au nom de sa fille, vont se faire appeler du nom d’isabelistes, par opposition à leurs adversaires, les partisans du roi légitime Carlos V, les « carlistes ». Marie-Christine de Bourbon (1806-1878) veuve du roi précédant et débarrassée de l’encombrant beau-frère légitime exilé au Portugal, estime avoir les coudées franches pour mettre en pratique ses réformes libérales. Sous la Régente, la royauté cessait alors d’être ce qu’elle avait toujours été, l’autorité centrale gardienne des libertés de ses peuples, pour sombrer dans la tyrannie 3. De nombreuses provinces espagnoles du Nord et du Nord-Ouest, comme la Navarre, le Pays Basque, la Biscaye, l’Aragon, la Catalogne avaient jusque-là bénéficié de libertés locales. A leurs représentants venus présenter leurs aspirations en 1833 à la cour de Madrid. La Régente fait sèchement savoir que leurs doléances sont « caduques ». Désormais les libertés locales (les « fueros ») seront soit supprimées soit réduites. Les particularismes de ces régions (catholicisme, autonomie politique, libertés sociales) seront ainsi combattus par Madrid. Alors que les villes seront en majorité acquises à Isabelle II, les campagnes resteront fidèles à Don Carlos V. Quatre ans après l’avènement d’Isabelle II la guerre éclatera.
Les Guerres Carlistes – 1837-1876

Première Guerre Carliste (1837-1839)
Le début des hostilités est favorable aux carlistes grâce au génie militaire du général basque Tio Tomas, Tomas de Zumalacarregui. Cependant le déséquilibre va ensuite évoluer en faveur des constitutionnels. Madrid va voir affluer des volontaires étrangers. L’Angleterre, le Portugal et la France décident l’envoi de contingents militaires pour aider le Gouvernement de Marie-Christine. Louis Philippe d’Orléans met à la disposition de la Régente plus de 4.000 soldats de la Légion Étrangère qu’il vient de fonder 4 Mais de nombreux vétérans français des Guerres de l’Ouest sous la Révolution, quelques-uns ayant servi comme chouans sous la duchesse de Berry contre ce même Louis-Philippe, vont offrir leurs bras et leurs armes à Don Carlos, voyant en Marie-Christine et sa fille Isabelle le même ennemi implacable qu’eux, ou leurs pères, avaient combattu en Vendée et en Bretagne : la Révolution 5.
Cependant, on estime que Don Carlos V (ci-dessus) né en 1788, décédé en 1855, laissa filer sa chance quand il renonça à entrer dans Madrid alors qu’il en avait le pouvoir. C’est l’opinion d’historiens éminents de cette guerre comme Antonio Pirala 6 ou Melchor Ferrer 7. Les combats ont donc continué durant deux ans, jusqu’à la signature du traité, « Convenio de Vergara » (Convention d’Ognate) le 31 août 1839, entre les représentants du général carliste Rafaël Maroto et le général isabeliste Baldomero Espartero. Les deux généraux scellèrent l’accord de paix par une accolade, d’où l’autre nom de l’évènement : « Abrazo de Vergara » mais cette démonstration d’amitié ne dissimulait en rien l’amère défaite pour le parti carliste qui avait été si proche de la victoire…Cela va pousser le Prince légitime à l’exil en 1839. Isabelle II est reconnue par toute l’Espagne, ou presque. Les carlistes campent dans leur résistance. En 1845 Carlos V abdiquera en faveur de son fils Carlos Luis Maria Fernando.
Deuxième Guerre Carliste (1846-1849) ou « Guerre des Matiners » Les légitimistes de Don Carlos V (1818-1861) comte de Montemolin vont soulever la Catalogne, l’Aragon, la Navarre et Guispuscoa durant quatre années. Cette deuxième lutte se termina elle aussi par la défaite des carlistes. Carlos V abdique en faveur de son frère Juan. Celui-ci est le premier prince carliste à se dire favorable aux idées madrilènes… Don Juan III (1822-1887) abdiquera à son tour en faveur de son fils Carlos, Carlos VII (1866-1909) duc de Madrid.
Marie-Christine avait du abdiquer elle aussi en 1840 au profit de la dictature militaire du général Espartero, qui assume la Régence durant 3 ans. Isabelle II, âgée de 13 ans, commence à régner en 1843 et prête serment à la Constitution le 10 novembre, devant les Cortès. Une nouvelle Constitution sera votée en 1845. La souveraine, déchue, quittera la scène politique en 1868.
En 1870, après la régence du général Francisco Serrano, les Cortès Generales proclament roi Amédée de Savoie sous le nom d’Amédée Ier Roi d’Espagne, qui abdiquera après la victoire des républicains en 1873.

Troisième Guerre Carliste (1872-1876) – Les carlistes tentent de profiter de cette période d’instabilité politique. Le « Chevalier des Rois et le Roi des Chevaliers » Carlos VII espère profiter des troubles politiques. Il devra se battre d’abord contre les troupes d’Amédée de Savoie, puis contre celles d’Alphonse XII dès 1874. Entre temps, 1873, la Première République avait été proclamée, chassant la reine Isabelle II.
Les légitimistes de Don Carlos VII seront finalement battus en 1876 avec l’invasion de leur fief, Estella (Navarre) par les soldats alphonsistes. Carlos VII trouvera refuge en France.
Le temps du bilan
On ne peut que constater cette instabilité politique qui caractérisait ce gouvernement à la fois libéral et autoritariste, que l’Histoire sanctionnera négativement. En trente-sept années (1833-1870) l’Espagne aura été dirigée par deux dictateurs militaires (Espartero, Serrano) et trois souverains (Isabelle II, Amédée Ier, Alphonse XII)… En 1936, les carlistes se battront du côté des « nationalistes » espagnols, contre les communistes espagnols du Frente Popular, renommé en « Frente Crapular » par les nationalistes, et les carlistes. Pour Dieu et l’Espagne. La faute originelle de Ferdinand VII est considérable. Sa décision arbitraire de mettre fin à la sage législation catholique et centenaire de Philippe V, a plongé l’Espagne dans le chaos et le malheur, détruit des familles entières, fait des veuves et des orphelins et livra cette fière nation catholique à des tyrans et des aventuriers.
- « Le Mouron Rouge » (« The Scarlet Pimpernel ») est une œuvre de la romancière britannique d’origine hongroise, la baronne Emma Orczy (1865-1947). Le roman édité en plusieurs volume raconte les aventures d’un dandy britannique, ennemi le jour de toute action violente, mais aux convictions contre-révolutionnaires la nuit et qui, dans la France de 1793, opérait masqué pour essayer d’arracher les royalistes à la guillotine. ↩︎
- Marie-Caroline de Bourbon-Siciles (1798-1870) belle-fille du roi Charles X, tenta de soulever la Vendée, puis la Provence à partir de 1831, au profit de son fils Henri, le futur Comte de Chambord. ↩︎
- Charles Maurras en particulier a toujours vanté les qualités fondamentales de la royauté traditionnelle : le royaume hérissé de ses libertés locales et régionales (villes franches, parlements, corps intermédiaires, corporations …) ↩︎
- La Légion Étrangère a été fondée en 1831 par Louis-Philippe d’Orléans et intégrée alors au 19e Corps d’Armée. Cette fondation avait été faite pour les campagnes militaires en Algérie. On l’appelait du nom d’armée d’Afrique. ↩︎
- Le même phénomène se produira en 1861 lors de la Guerre de Sécession américaine, que les Sudistes, y compris de nos jours, continuent d’appeler « Guerre d’Invasion Nordiste ». De nombreux Français, fils de vétérans des Chouanneries et de Vendée-Militaire (1793-1831) ayant combattu avec Cathelineau, Charette, Cadoudal, Marie-Caroline de Bourbon-Sicile (etc.) vont offrir leurs épées au général Robert E. Lee qu’ ils voyaient dans les Tuniques Bleues de Lincoln, les mêmes Bleus qui mirent leur pays à feu et à sang. Des noms de grandes familles ayant servi le Roi de France, comme Polignac (Camille de) ou Beauregard (Pierre-Gustave Toutant de) endosseront la tunique grise. ↩︎
- Historien libéral, Antonio Pirala a écrit une œuvre en 6 volumes « Historia de la Guerra Civil y de los Partidos Liberal y Carlista » ↩︎
- « Historia del Tradicionalismo español », publié en 30 volumes ↩︎